MÉMOIRE DE LA COALITION CANADIENNE
DES AIDANTES ET AIDANTS NATURELS

Reconnaître les aidants naturels

Recommandation

La Coalition canadienne des aidantes et aidants naturels recommande au gouvernement fédéral d’instaurer les mesures suivantes afin de reconnaître l’importance des aidants naturels au Canada :

1.    Annoncer une stratégie en faveur des aidants naturels pour le Canada.

2.    Bonifier les crédits d’impôt fédéraux actuels de telle sorte que davantage d’aidants naturels puissent en bénéficier.

3.    Instaurer des incitatifs destinés aux employeurs visant à garder les aidants naturels en emploi dans la population active.

Résumé

Le gouvernement fédéral a entrepris de faire du Canada le « meilleur endroit pour les familles » tout en étant déterminé à favoriser une économie forte et prospère. Ces objectifs reflètent l’équilibre que des millions de Canadiens recherchent lorsqu’ils élèvent leurs enfants et dispensent des soins et prêtent assistance à leurs parents âgés ou à leurs êtres chers, tout en s’efforçant à remplir leurs engagements au travail, à veiller à leur sécurité financière et à économiser pour la retraite.

La Coalition canadienne des aidantes et aidants naturels (CCAN) croit que le gouvernement fédéral a la possibilité d’intervenir de manière à favoriser grandement les familles canadiennes en prenant des mesures pour reconnaître la valeur des aidants naturels et pour leur venir en aide. Ce sentiment est partagé partout au pays. Tout récemment, au Manitoba, l’établissement et l’adoption rapide par tous les partis de la Loi sur la reconnaissance de l’apport des aidants naturels dénotent un besoin important d’agir.

Le fait de prendre soin de membres de la famille n’est pas nouveau. Notre société suppose et, en fait, s’attend à ce que les membres de la famille ou les amis s’occupent des êtres chers qui ont besoin de soins. Toutefois, le contexte de la prestation de soins reflète les changements économiques et sociaux. Les familles sont plus petites et plus dispersées; la main-d’œuvre officielle est composée d’un plus grand nombre de femmes; le mariage et la procréation sont reportés à un âge plus avancé; la retraite est retardée; la population vieillit; on observe une augmentation de l’espérance de vie, quoique souvent accompagnée d’une maladie ou d’une incapacité chronique.

La nouvelle réalité est que le fait de prendre soin d’un parent âgé ou d’un membre de la famille ayant un handicap ou un malaise chronique devient une partie normale de la vie pour de plus en plus de Canadiens. Bien que la prestation de soins soit une expérience positive pour beaucoup d’entre elles, il arrive souvent que les personnes aidantes doivent s’absenter du travail ou diminuer leurs heures de travail et abandonner des possibilités d’emploi pour dispenser des soins, ce qui entraîne des conséquences économiques pour elles, leur famille et leur employeur.

Les aidants naturels s’absenteront du travail ou de leur famille à moins qu’on ne déploie davantage d’efforts pour maintenir l’équilibre permettant aux Canadiens de prendre soin d’un membre de la famille handicapé tout en continuant de travailler et d’élever des enfants.

Partout au pays, des Canadiens réclament reconnaissance et aide. Il est temps de prendre des mesures audacieuses pour aider les familles qui donnent des soins à leurs proches, faisant économiser au gouvernement des coûts publics importants[i], souvent au détriment de leur santé personnelle et financière. Le résultat de ces mesures sera non seulement la reconnaissance des familles de partout au pays, mais elles permettront également à bon nombre de gens de conserver leur emploi et au Canada, de prospérer.

Contexte de la prestation de soins par les aidants naturels au Canada

Le Fonds monétaire international a estimé que les ravages du vieillissement sur les pays du G20 seraient 10 fois plus importants que ceux de la récente crise financière, et qu’elle sera encore plus grande au Canada.

En 1997, 2,85  millions de Canadiens ont prodigué des soins à un membre de leur famille souffrant de problèmes de santé sur une longue période[ii]. Toutefois, la CCAN estime que le nombre d’aidants naturels au Canada a augmenté de manière importante, frisant les 5 millions, et qu’il continuera d’augmenter.

Les « aidants naturels » prodiguent des soins et prêtent assistance à leur conjoint, à leurs enfants, à leurs parents et à d’autres membres de la famille élargie, de même qu’à leurs amis ayant besoin de soutien en raison de l’âge, de troubles médicaux invalidants, d’une blessure chronique, d’une maladie ou d’invalidité de longue durée. Selon un sondage mené en 2009, les baby-boomers prodiguent 42 heures de soins et parcourent 225 kilomètres par mois pour aider leurs parents âgés. Une proportion de 39 % fournit une aide financière à leurs parents, soit en moyenne 498 $ par mois[iii].

Les tâches des aidants naturels peuvent englober le pansement des plaies et les injections, délégués par les professionnels de la santé; les soins personnels, dont le bain, l’habillage, l’alimentation ou la toilette; les activités de soutien à domicile, dont la préparation des repas, l’administration domestique, la gestion des médicaments ou la gestion financière; enfin, des responsabilités telles que la coordination de la myriade de services dont les personnes à charge peuvent avoir besoin.

Trop d’aidants naturels minimisent ou même cachent leurs responsabilités : « Mes collègues m’ont aidée à conserver mon emploi; ils m’ont couverte lorsque j’ai dû m’absenter et m’ont aidée à respecter mes échéanciers. Je suis très reconnaissante d’avoir pu conserver mon emploi tout en prenant soin de ma mère. »

Une employée d’une grande entreprise

Les aidants naturels font des compromis en essayant de concilier la prestation de soins et les responsabilités d’un emploi rémunéré. En conséquence, ils sont susceptibles de réduire leurs heures de travail, de modifier leur régime de travail ou de refuser une offre d’emploi ou une promotion. En fin de compte, tout cela affecte les contributions au régime de retraite et peut avoir une incidence sur les économies pour l’avenir. En plus d’une perte de revenu liée à une réduction des heures de travail, plusieurs aidants naturels (près de 40 %)[iv] doivent faire face à des contraintes financières à long terme pour avoir assumé la prise en charge de leurs proches.

Les employeurs subissent les conséquences des interruptions de travail et de la réduction de la productivité de leurs employés. Selon l’Enquête sociale générale de 2007 de Statistique Canada, les chercheurs ont fait les constatations suivantes :

Les aidants naturels ayant un emploi consacrent l’équivalent d’une journée entière de travail par semaine à leurs tâches de prestation de soins en plus du temps consacré à leur emploi rémunéré (horaire à temps plein dans la plupart des cas).

On estime que les aidants naturels canadiens ayant un emploi ont fourni 893 millions d’heures de prestation de soins annuellement, soit l’équivalent de 476 281 employés à temps plein.

Plus de 520 000 aidants naturels ayant un emploi ont manqué une journée de travail ou plus par mois pour donner des soins; collectivement, ils ont manqué près de 1,48 million de journées de travail par mois pour donner des soins.

Plus de 313 000 aidants naturels ayant un emploi ont diminué leurs heures de travail pour les besoins de leurs responsabilités de prestation de soins; collectivement, ils ont diminué les heures de leur emploi payé de plus de 2,2 millions d’heures par semaine.

Au total, un aidant naturel sur six ayant un emploi donne des soins à distance, ce qui ajoute une demi-journée ou plus de temps de déplacement, en plus des dépenses qui s’y rattachent, aux frais qu’ils doivent débourser pour la prestation de soins.

La majorité des aidants naturels ayant un emploi sont âgés de 45 à 54 ans, sont mariés ou en union de fait et détiennent un diplôme d’études collégiales ou universitaires. Une proportion de 1 aidant naturel sur 6 assume l’éducation d’enfants de moins de 15 ans en plus de ses responsabilités de prestation de soins et de son emploi rémunéré. Une proportion de 40 % des aidants naturels s’occupent de 2 personnes ou plus.

Les femmes aidantes naturelles ayant un emploi sont beaucoup plus susceptibles de subir des répercussions sur leur situation d’emploi liées à la prestation de soins que les hommes aidants naturels ayant un emploi.

Ensemble, les répercussions de la prestation de soins sur la situation d’emploi des aidants naturels représentent une énorme perte de productivité pour les employeurs et pour l’économie en général, soit l’équivalent de 157 000 employés à temps plein par année[v].

Une recherche a aussi démontré que, si les aidants naturels étaient remplacés par des salariés payés aux taux courants du marché et bénéficiant d’avantages sociaux et de soutien, il en coûterait 25 milliards de plus à l’économie[vi].

Demande pour le budget de 2012

Le gouvernement fédéral mentionne souvent l’importance des Canadiens de la classe moyenne ainsi que de leur famille pour assurer la prospérité du Canada. Il reconnaît aussi que les familles sont préoccupées quant aux « dépenses engagées pour prendre soin des parents âgés ». La CCAN indique qu’il y a matière à amélioration sous forme de politiques, de réglementation ou d’aide financière pour les aidants naturels. Les mesures fiscales en vigueur, notamment la bonification du crédit d’impôt pour aidants naturels en 2011, et les prestations de compassion de l’assurance­emploi sont de bonnes mesures. L’expérience a démontré que ces prestations étaient utilisées de façon judicieuse et qu’on y avait recours en période de grande nécessité. L’impératif prépondérant consiste à déclarer que les aidants naturels sont des membres légitimes et uniques de la société.

Le gouvernement fédéral peut améliorer l’aide aux aidants naturels tout en continuant à soutenir la reprise économique au Canada. Selon la CCAN, cela peut s’accomplir par les moyens suivants :

Mettre en place une stratégie en faveur des aidants naturels

Recommandation 1 : Annoncer une stratégie en faveur des aidants naturels pour le Canada pour démontrer que le gouvernement fédéral reconnaît les aidants naturels comme des membres de la société ayant des difficultés et des besoins particuliers.

Une stratégie appuyant les aidants naturels pour le Canada crée un cadre qui peut être adopté par toutes les administrations et tous les secteurs afin d’harmoniser les efforts pour soutenir les aidants naturels qui éprouvent des difficultés exceptionnelles, notamment l’obligation de quitter la population active. La mise en place d’une stratégie appuyant les aidants naturels par le gouvernement fédéral servira de cadre pour discuter avec les provinces et les territoires de mesures ciblées en faveur des aidants naturels. Cela permettra de coordonner des approches multijuridictionnelles, des initiatives de démonstration, l’aide à la recherche, la formation et la dissémination des connaissances et des pratiques exemplaires. La stratégie en faveur des aidants naturels de la CCAN comprend les principaux éléments suivants :

§  Protéger la santé et le bien‑être des aidants naturels et accroître la souplesse et la disponibilité des soins de relève.

§  Minimiser le fardeau financier excessif des aidants naturels.

§  Faciliter l’accès à des sources de renseignements et à des formations conviviales.

§  Créer des milieux de travail souples respectant les obligations des aidants naturels.

§  Investir dans la recherche sur les aidants naturels servant de base à la prise de décisions éclairées.

§  Adopter de nouvelles mesures fiscales

Recommandation 2 : Rendre remboursable le crédit d’impôt actuel pour les aidants naturels.

Le gouvernement fédéral fournit actuellement une aide financière aux aidants naturels grâce aux crédits d’impôt personnels (le crédit d’impôt pour aidants naturels et le crédit pour personnes à charge atteintes d’incapacité), qui ont été bonifiés en 2011, et aux frais remboursables (par ex. : pour la formation et les soins de relève). La demande de ces prestations a toujours été moins élevée que prévu, ce qui fait croire à certains que le besoin n’était pas si grand. En fait, cela démontre que les Canadiens n’abusent pas de l’aide sociale. Toutefois, ils tirent une grande fierté de savoir que lorsqu’ils font face à des besoins difficiles à combler, notre société peut leur fournir de l’aide. Le fait de rendre remboursable le crédit d’impôt actuel pour les aidants naturels fournirait des fonds aux aidants naturels à faible revenu.

Reconnaissant le chevauchement potentiel des deux avantages fiscaux, nous recommandons d’examiner et de regrouper les prestations, le cas échéant. Le gouvernement pourrait commencer par annoncer la création d’un comité consultatif d’experts ou d’un groupe de travail composé de personnes connaissant la complexité du système fiscal. Le mandat du groupe serait de faire des recommandations afin d’aider le gouvernement fédéral à simplifier les crédits d’impôt existants pour les aidants naturels et pour les employeurs pour qui les aidants naturels travaillent afin qu’ils puissent continuer de travailler. Le comité pourrait assurer une reconnaissance fiscale adéquate des frais engagés par les aidants naturels, mais il pourrait aussi examiner et évaluer des moyens d’atténuer les pertes de revenus et d’accumulations de contributions à un régime de retraite associées à une perte d’emploi. Finalement, le comité pourrait aussi définir les paramètres descriptifs des aidants naturels en reconnaissant qu’ils peuvent vivre dans des résidences distinctes des personnes à charge et que la nature de l’aide fournie englobe un grand éventail d’activités dont la plupart vont bien au-delà de ce à quoi peuvent raisonnablement s’attendre les travailleurs canadiens.

Instaurer des incitatifs destinés aux employeurs visant à garder les aidants naturels en emploi dans la population active

Recommandation 3 : Instaurer des incitatifs destinés aux employeurs récompensant ceux qui ont des politiques appuyant les aidants naturels.

Comme l’a déclaré le gouvernement, « pour les Canadiens et Canadiennes, aucune priorité n’est plus grande que celle de prendre soin de ses proches. » En situation de crise ou dans certaines circonstances, il peut être difficile pour les familles d’équilibrer leurs responsabilités professionnelles avec les besoins de leurs proches. Les employeurs assument les coûts de la prestation de soins liés à l’absentéisme, à la perte de productivité ainsi qu’au recrutement et à la formation de nouveaux employés. Les employeurs veulent s’adapter aux besoins de leurs employés, mais il peut être difficile, et éventuellement impossible de soutenir les congés utilisés. Souvent, les employés qui bénéficient d’une certaine souplesse ne croient pas qu’ils peuvent profiter de politiques à l’égard de leur rôle d’aidant naturel sans nuire à leur carrière.

La conciliation travail-famille deviendra bientôt un sérieux problème au Canada. Occupant le cinquième rang des plus importants employeurs au pays, le gouvernement fédéral devrait examiner ses politiques et ses pratiques et s’assurer qu’elles soutiennent les employés ayant des responsabilités de prestation de soins. Le gouvernement devrait mettre sur pied un groupe de travail qui :

§  examinerait la pratique actuelle d’employeurs de différentes tailles et de différents secteurs;

§  aurait la responsabilité d’élaborer des recommandations de politiques publiques et de pratiques opérationnelles.

Cela aurait pour effet de respecter les priorités du gouvernement qui sont de soutenir la reprise économique, de créer des emplois de qualité durables, d’éviter les hausses importantes d’impôt et d’atteindre l’équilibre budgétaire tout en répondant aux besoins sociaux auxquels le pays est confronté.

Conclusion et recommandations

La CCAN recommande au gouvernement fédéral d’instaurer les mesures suivantes afin d’appuyer les aidants naturels :

§  Annoncer une stratégie en faveur des aidants naturels pour le Canada.

§  Bonifier les crédits d’impôt fédéraux actuels de telle sorte que davantage d’aidants naturels puissent en bénéficier.

§  Instaurer des incitatifs destinés aux employeurs visant à garder les aidants naturels en emploi dans la population active.

Tous les gouvernements doivent trouver le juste équilibre dans l’élaboration de politiques fiscales et sociales responsables visant à équilibrer le soutien et l’habilitation. Le gouvernement fédéral a démontré qu’il reconnaissait « [le] temps et [les] ressources considérables fournis par les aidants familiaux ». En adoptant les recommandations de la CCAN, le gouvernement répondra aux Canadiens qui sont appelés à jouer un rôle de prestataire de soins et qui font l’expérience de première main des coûts financiers, émotionnels, physiques et mentaux liés aux responsabilités en matière de prestation de soins, particulièrement lorsqu’ils essaient de concilier ces responsabilités avec un emploi de salarié. Ce sont le plus souvent les femmes qui assument les responsabilités de la prestation de soins.

La Coalition canadienne des aidantes et aidants naturels

La Coalition canadienne des aidantes et aidants naturels (CCAN) est un organisme national représentant et promouvant la voix d’expression, les besoins et les intérêts des aidants naturels auprès de tous les ordres de gouvernement et de la société par le militantisme et le leadership, la recherche et l’éducation, ainsi que par l’information, la communication et le développement des ressources. La CCAN est composée de divers groupes de personnes et d’organismes. Les partenaires à titre personnel comprennent des aidantes et aidants naturels, des chercheurs et des prestataires de services professionnels.



     iS. Torjman et coll. Rapport sur une fiscalité équitable pour les personnes handicapées, 2004, p. 88

     iiK. Cranswick, « Canada’s Caregivers », Canadian Social Trend, 1997.

     iiiInvestors Group., Days, dollars, and distance: The Story of Boomers on Call, 2009.

     ivNorah Keating, Janet Fast, Alison Yacyshyn. Employment Consequences of Supporting Adults with Disabilities, Université de l’Alberta, 2008.

     vJanet Fast (chercheuse principale), Donna Lero, Karen Duncan, Chelsea Dunlop, Jacquie Eales, Norah Keating et Satomi Yoshino. Employment consequences of family/friend caregiving in Canada Research on Aging, Policies and Practice, Department of Human Ecology, Université de l’Alberta, 2011.

     viM. Hollander, G. Lui et N. Chappelle. « Who Cares and How Much? The imputed economic contribution to the Canadian healthcare system of middle-aged and older unpaid caregivers providing care to the elderly », Healthcare Quarterly, 12(2), 2009, p. 42-49.